"QUI AIME BIEN CHATIE BIEN et RECIPROQUEMENT"
Je
me souviens, l’année de mes quinze ans...
Ma mère, excédée par mes bêtises, qui auraient
pu avoir de fâcheuses conséquences sur mon avenir, m’envoyât chez son père,
dans le sud du Maroc. Ayant grandi à Marseille, je découvrais pour la première
fois la terre de mes ancêtres. Cet été là,
je ne l’oublierai jamais. Le temps d’une saison, je suivis les enseignements de
mon grand-père.
De
ma mémoire, remonte une anecdote : le jour suivant mon arrivée je visitais
le village avec Grand-Père. Nous traversâmes des ruelles étroites sous le
soleil accablant de juillet. Il n’était que dix heures du matin quand nous
arrivâmes sur la Place aux Epices et déjà le souffle chaud du chergui saturait
l’air de muscade, coriandre et cumin. Ces effluves entêtants déliaient les
langues.
Cette
large esplanade permettait d’atteindre une impasse où nous pouvions reprendre nos esprits. Tout
au fond se dressait un arganier. Je le contemplais un instant quand mon regard
fut attiré par une étrange fenêtre de couleur brun- rouge tranchant avec les
murs blancs qui l’encadraient. En regardant mieux, je m’aperçus qu’elle était
ajourée de centaines de minuscules
ouvertures. Je m’approchais, attiré comme un aimant par cette porte qui
devait mener au paradis - il ne pouvait en être autrement. Soudain, je fus
subjugué par une odeur ensorcelante, jaillissant de ce lieu mystérieux. Je me
retournai vers mon grand-père en suggérant :
-
Est-ce la demeure d’une reine ?
Grand-Père
me toisa de toute sa hauteur. Il passa la main dans ses cheveux blancs et ses
prunelles noires s’allumèrent à la lueur des souvenirs.
Il
me montra un vieux banc sous l’arganier :
-
Viens t’asseoir, je vais te conter une
histoire…
Nous
nous installâmes, il prit une profonde inspiration et commença doucement.
«
Ceci est un moucharabieh. Derrière se cache le plus merveilleux des secrets. Je
vais te le dévoiler. » Il s’éclaircit la voix puis continua en plongeant
son regard dans les cieux azurs.
« Je
devais avoir ton âge à peine. Je venais jouer ici avec les autres garçons
jusqu’au jour où j’entendis des rires traverser cette ouverture - Il me montra le moucharabieh - pas n’importe
quels rires, pas ceux de grands
garnements comme toi et moi. Non. Des notes cristallines qui, si nous n’y
prenons pas garde, peuvent passer pour le chant des oiseaux. N’écoutant que mon
cœur, je m’élançai vers ces envolées enchanteresses. »
Grand-Père
cessa sa narration un instant puis leva la tête en me soufflant : « L’arganier
sous lequel nous sommes assis s’érigeait déjà à cet endroit. Jeune et quelque
peu écervelé, j’entrepris de l’escalader pour essayer de voir à travers le
moucharabieh. Quelle idée ! Il n’y
a que les chèvres qui peuvent s’en
sortir indemne ! C’est donc couvert d’égratignures que j’atteignis le
sommet.
De
là-haut, je n’avais qu’à me pencher pour voir à travers les minuscules
ouvertures, qui étaient les créatures magiques qui exaltaient mes sens. Dans la pièce, il n’y avait que des femmes. La plus proche de moi était très âgée. Elle dépliait devant elle un léger
voile d’où se déversait une cendre chaude qu’elle récupérait précautionneusement dans un mortier en olivier. Puis longuement
et patiemment elle pila cette étrange mixture. Je ne sus que bien plus tard
qu’elle préparait le Khôl qui rend majestueux le regard des femmes d’ici. Tout
près d’elle se tenait trois jeunes
femmes, l’une d’elle servait le thé à la menthe, tandis que la deuxième, sa
sœur à n’en pas douter, mélangeait
délicatement du miel doré et du jus de citron pour en faire de la cire. Mes
yeux écarquillés pour ne perdre aucune miette de ce spectacle auquel aucun
homme n’est autorisé à assister, je
restais muet d’admiration devant la plus jeune d’entre elles.
Sa
peau claire tranchait avec de longs cheveux noirs. La courbe de ses longs cils
donnait à son regard un air angélique. Elle s’appliquait à préparer un fard
vermillon en travaillant la pierre d’alun avec du jus de citron et de
la poudre de coquelicot. Elle releva la tête et m’aperçut à travers l’étrange grillage qui formait cette
fenêtre. Prétextant avoir trop chaud, elle traversa la pièce et s’approcha
gracieusement de moi ; je tremblais par avance qu’elle ne me dénonce. Elle
n’en fit rien. Elle me sourit et mima du bout des lèvres :
-
Quel est ton nom ?
-
Mustapha et toi ? Répondis-je de la
même façon.
-
Jasmine.
Nous
nous observâmes un long moment en silence
Audacieux, je murmurai : «A la
tombée de la nuit je serai là, derrière
le moucharabieh, rejoins-moi. » Elle ne dit rien et retourna à sa tâche.
Je
descendis de l’arbre aux mille griffes et rentrai chez moi ne pensant qu’à
cette rencontre nocturne. Je ne mangeai que du bout des lèvres. Ma mère
s’inquiéta autant de mon manque
d’appétit que de mes écorchures. Je ne dis rien, encore sous le charme de cette
subreptice rencontre.
Je
ne pensais qu’à Jasmine. Même son prénom
embaumait mon cœur. Du haut de mes quinze ans la terre m’appartenait et ce soir
j’allais rencontrer celle qui deviendrait,
j’en étais persuadé, l’élue de mon cœur.
Le
soleil déclinait lentement vers l’ouest et je partis vers la maison de Jasmine
en sautillant, le cœur léger. L’arganier m’attendait toujours prêt à en découdre. Je repris mon ascension
tachant d’oublier les morsures que
m’infligeait cet ascenseur vers le paradis. Arrivée en haut de cet arbre
démoniaque j’entrepris d’escalader la façade en prenant soin de m’aider des
aspérités du mur et me retrouvais sur le toit. Je redescendis de l’autre côté
du toit dans la cour intérieure, ensuite, ce fut un jeu d’enfant de rejoindre
le lieu de mon rendez-vous car la maison semblait endormie.
Je pénétrai dans le sein des seins de cette demeure,
la pièce réservée aux femmes. Celle où elles préparaient leurs onguents et qui
détenait les secrets de la féminité des Marocaines. Je m’approchais du moucharabieh et je cherchais déjà dans la pénombre ma bien-aimée.
Je
fus récompensé au-delà de mes espérances.
Soudain, dans le noir, Une volée de coups de bâtons me cingla le
dos. La vivacité de l’attaque me laissa d’abord inerte. Puis je m’évertuai à m’échapper de cette bastonnade. Je me maudis
d’être acculé à cette fenêtre. En fait de paradis, j’étais en enfer ! »
Mon
grand-père cessa sa narration, riant aux larmes de ce souvenir. Je riais
moi-aussi de bon cœur l’imaginant couvert d’égratignures, roué de coups de
bâtons.
-
Grand-père, qui te frappais ainsi,
Jasmine ?
-
Non, non, sa sœur, Lila avait intercepté
notre conversation secrète et m’avait joué un mauvais tour, que je n’ai pas oublié à ce jour.
-
Mais, grand-mère ne s’appelle pas
Jasmine. Cet amour n’a donc pas vu le jour.
-
Dans un sourire grand-père me répondit. Le moucharabieh réserve bien des surprises, ta
grand-mère se prénomme Lila.
arrivée 7eme sur 35. Pour une première nouvelle... pas mal je toruve.
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