lundi 10 septembre 2012

Derrière le Moucharabieh....concours de Fuveau

Voila ma nouvelle "Qui aime bien, chatie bien et réciproquement" qui a terminé 7ème au concours des écrivains en Provence - Fuveau 2012.

"QUI AIME BIEN CHATIE BIEN et RECIPROQUEMENT"
 
 
Je me souviens, l’année de mes quinze ans...

 Ma mère, excédée par mes bêtises, qui auraient pu avoir de fâcheuses conséquences sur mon avenir, m’envoyât chez son père, dans le sud du Maroc. Ayant grandi à Marseille, je découvrais pour la première fois la terre de mes ancêtres.  Cet été là, je ne l’oublierai jamais. Le temps d’une saison, je suivis les enseignements de mon grand-père.

De ma mémoire, remonte une anecdote : le jour suivant mon arrivée je visitais le village avec Grand-Père. Nous traversâmes des ruelles étroites sous le soleil accablant de juillet. Il n’était que dix heures du matin quand nous arrivâmes sur la Place aux Epices et déjà le souffle chaud du chergui saturait l’air de muscade, coriandre et cumin. Ces effluves entêtants déliaient les langues.

Cette large esplanade permettait d’atteindre une impasse  où nous pouvions reprendre nos esprits. Tout au fond se dressait un arganier. Je le contemplais un instant quand mon regard fut attiré par une étrange fenêtre de couleur brun- rouge tranchant avec les murs blancs qui l’encadraient. En regardant mieux, je m’aperçus qu’elle était ajourée de centaines de minuscules  ouvertures. Je m’approchais, attiré comme un aimant par cette porte qui devait mener au paradis - il ne pouvait en être autrement. Soudain, je fus subjugué par une odeur ensorcelante, jaillissant de ce lieu mystérieux. Je me retournai vers mon grand-père en suggérant :

-       Est-ce la demeure d’une reine ?

Grand-Père me toisa de toute sa hauteur. Il passa la main dans ses cheveux blancs et ses prunelles noires s’allumèrent à la lueur des souvenirs.

Il me montra un vieux banc sous l’arganier :

-       Viens t’asseoir, je vais te conter une histoire…

Nous nous installâmes, il prit une profonde inspiration et commença doucement.

 

«  Ceci est un moucharabieh. Derrière se cache le plus merveilleux des secrets. Je vais te le dévoiler. » Il s’éclaircit la voix puis continua en plongeant son regard dans les cieux azurs.

« Je devais avoir ton âge à peine. Je venais jouer ici avec les autres garçons jusqu’au jour où j’entendis des rires traverser cette ouverture -  Il me montra le moucharabieh - pas n’importe quels rires, pas ceux  de grands garnements comme toi et moi. Non. Des notes cristallines qui, si nous n’y prenons pas garde, peuvent passer pour le chant des oiseaux. N’écoutant que mon cœur, je m’élançai vers ces envolées enchanteresses. »

Grand-Père cessa sa narration un instant  puis  leva la tête en me soufflant : « L’arganier sous lequel nous sommes assis s’érigeait déjà à cet endroit. Jeune et quelque peu écervelé, j’entrepris de l’escalader pour essayer de voir à travers le moucharabieh.  Quelle idée ! Il n’y a que les chèvres  qui peuvent s’en sortir indemne ! C’est donc couvert d’égratignures que j’atteignis le sommet.

De là-haut, je n’avais qu’à me pencher pour voir à travers les minuscules ouvertures, qui étaient les créatures magiques qui exaltaient mes sens.  Dans la pièce, il n’y avait que des femmes.  La plus proche de moi était  très âgée. Elle dépliait devant elle un léger voile d’où se déversait une cendre chaude qu’elle récupérait  précautionneusement  dans un mortier en olivier. Puis longuement et patiemment elle pila cette étrange mixture. Je ne sus que bien plus tard qu’elle préparait le Khôl qui rend majestueux le regard des femmes d’ici. Tout près d’elle se tenait  trois jeunes femmes, l’une d’elle servait le thé à la menthe, tandis que la deuxième, sa sœur  à n’en pas douter, mélangeait délicatement du miel doré et du jus de citron pour en faire de la cire. Mes yeux écarquillés pour ne perdre aucune miette de ce spectacle auquel aucun homme n’est autorisé à assister,  je restais muet d’admiration devant la plus jeune d’entre elles.

Sa peau claire tranchait avec de longs cheveux noirs. La courbe de ses longs cils donnait à son regard un air angélique. Elle s’appliquait à préparer un fard vermillon en  travaillant  la pierre d’alun avec du jus de citron et de la poudre de coquelicot. Elle releva la tête et m’aperçut  à travers l’étrange grillage qui formait cette fenêtre. Prétextant avoir trop chaud, elle traversa la pièce et s’approcha gracieusement de moi ; je tremblais par avance qu’elle ne me dénonce. Elle n’en fit rien. Elle me sourit et mima du bout des lèvres :

-       Quel est ton nom ?

-       Mustapha et toi ? Répondis-je de la même façon.

-       Jasmine.

Nous nous observâmes un long moment en silence

 Audacieux, je murmurai : «A la tombée de la nuit  je serai là, derrière le moucharabieh, rejoins-moi. » Elle ne dit rien et retourna à sa tâche.

Je descendis de l’arbre aux mille griffes et rentrai chez moi ne pensant qu’à cette rencontre nocturne. Je ne mangeai  que du bout des lèvres. Ma mère s’inquiéta  autant de mon manque d’appétit que de mes écorchures. Je ne dis rien, encore sous le charme de cette subreptice rencontre.

Je ne pensais qu’à Jasmine. Même son  prénom embaumait mon cœur. Du haut de mes quinze ans la terre m’appartenait et ce soir j’allais rencontrer  celle qui deviendrait,  j’en étais persuadé, l’élue de mon cœur.

Le soleil déclinait lentement vers l’ouest et je partis vers la maison de Jasmine en sautillant, le cœur léger. L’arganier m’attendait toujours  prêt à en découdre. Je repris mon ascension tachant d’oublier les morsures  que m’infligeait cet ascenseur vers le paradis. Arrivée en haut de cet arbre démoniaque j’entrepris d’escalader la façade en prenant soin de m’aider des aspérités du mur et me retrouvais sur le toit. Je redescendis de l’autre côté du toit dans la cour intérieure, ensuite, ce fut un jeu d’enfant de rejoindre le lieu de mon rendez-vous car la maison semblait endormie.

Je pénétrai dans le sein des seins de cette demeure, la pièce réservée aux femmes. Celle où elles préparaient leurs onguents et qui détenait les secrets de la féminité  des Marocaines. Je m’approchais du  moucharabieh et  je cherchais déjà  dans la pénombre  ma bien-aimée.

Je fus récompensé au-delà de mes espérances.

 Soudain, dans le noir,  Une volée de coups de bâtons me cingla le dos. La vivacité de l’attaque me laissa d’abord inerte. Puis je m’évertuai  à m’échapper de cette bastonnade. Je me maudis d’être acculé à cette fenêtre. En fait de paradis, j’étais en enfer ! »

Mon grand-père cessa sa narration, riant aux larmes de ce souvenir. Je riais moi-aussi de bon cœur l’imaginant couvert d’égratignures, roué de coups de bâtons.

-       Grand-père, qui te frappais ainsi, Jasmine ?

 

-       Non, non, sa sœur, Lila avait intercepté notre conversation secrète et m’avait joué un mauvais tour, que je n’ai  pas oublié à ce jour.

-       Mais, grand-mère ne s’appelle pas Jasmine. Cet amour n’a donc pas vu le jour.

-       Dans un sourire grand-père me répondit.  Le moucharabieh réserve bien des surprises, ta grand-mère se prénomme Lila.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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